Une entreprise peut-elle ne fonctionner qu’avec des freelances ?

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Dans un monde professionnel en constante évolution, la question du modèle organisationnel optimal se pose régulièrement. En tant que DSI de transition, je me retrouve fréquemment confronté à cette problématique lorsqu’il s’agit de structurer rapidement des équipes performantes. Qu’il s’agisse de monter une équipe data from scratch, de renforcer une équipe produit ou de constituer des équipes de développement, la question du recours aux freelances versus le recrutement de salariés est systématiquement sur la table. Cette réflexion mérite qu’on s’y attarde : une entreprise peut-elle fonctionner exclusivement avec des freelances ? Doit-elle nécessairement avoir des salariés ?

L’entreprise : une machine à transformer

Pour répondre à cette question, revenons aux fondamentaux. Une entreprise, c’est avant tout une entité qui transforme des éléments d’entrée (inputs) en éléments de sortie (outputs). Exemple : un boulanger qui transforme de la farine, de l’eau etc. en pain. Dans mon quotidien, je le constate régulièrement : une équipe data transforme des données brutes en insights actionnables, une équipe produit transforme des besoins utilisateurs en spécifications fonctionnelles, une équipe de développement transforme ces spécifications en solutions techniques. Cette transformation n’est pas magique : elle repose sur des processus bien définis, reproductibles et optimisables.

Les composantes essentielles de l’entreprise

Pour réaliser cette transformation, l’entreprise s’appuie sur deux piliers fondamentaux. D’une part, les outils : dans mes missions, cela se traduit par des infrastructures cloud, des outils de développement, des plateformes de data visualization, des environnements de test. D’autre part, les humains qui utilisent ces outils et font vivre les processus. La question n’est donc pas tant le statut de ces humains (salariés ou freelances) mais leur capacité à servir efficacement le processus de transformation.

La motivation des talents : parlons vrai

Mon expérience de DSI m’a appris une chose : ce qui motive les individus à participer à ce processus de transformation, c’est avant tout la rémunération. Tous les discours sur la culture d’entreprise, l’appartenance, les avantages en nature sont secondaires. Quand je constitue une équipe data ou produit, les freelances l’assument généralement plus ouvertement : ils échangent leur expertise contre une compensation financière. Cette transparence est même rafraîchissante comparée aux artifices parfois déployés dans les relations employeur-employé traditionnelles.

Les limites juridiques : entre théorie et pratique

Il existe cependant une nuance importante d’un point de vue juridique, à laquelle je suis particulièrement attentif dans mes missions. Les freelances sont théoriquement là pour des missions spécifiques – par exemple, mettre en place une architecture data, développer une nouvelle fonctionnalité produit, former une équipe aux méthodologies agiles – mais ne doivent pas occuper un emploi permanent déguisé. La réalité que je constate est plus nuancée : de nombreuses entreprises s’appuient sur des freelances pour des missions longue durée, particulièrement dans le secteur informatique. Le risque de requalification existe, mais il est souvent considéré comme un risque acceptable face aux avantages de la flexibilité.

L’informatique : précurseur d’un nouveau modèle ?

Le secteur informatique, dans lequel j’évolue, est particulièrement révélateur de cette évolution. Dans mes différentes missions de transition, je constate que des projets critiques reposent largement sur des freelances : architectes data, lead developers, product owners… Cette situation n’est pas un hasard : notre secteur valorise l’expertise technique pointue et la flexibilité plus que l’ancienneté ou la stabilité. Les entreprises tech ont compris depuis longtemps que la valeur réside dans la compétence, pas dans le statut.

Le statut juridique : un frein potentiel à l’excellence

Dans mes missions de DSI de transition, je suis régulièrement confronté à une situation paradoxale : certaines entreprises sont tellement focalisées sur le statut juridique des candidats qu’elles passent à côté de profils exceptionnels. J’ai vu des projets data retardés de plusieurs mois parce qu’une organisation refusait catégoriquement de travailler avec des freelances, préférant attendre – parfois en vain – de trouver le talent équivalent en CDI. Cette obsession du statut peut coûter cher : pendant que l’entreprise cherche le mouton à cinq pattes en CDI, les meilleurs profils freelances sont happés par la concurrence.

Je me souviens particulièrement d’un projet critique où nous avions identifié un expert data parfait pour la mission. Son expertise technique, son expérience du secteur et sa disponibilité immédiate correspondaient exactement à nos besoins. Mais son statut de freelance a été un point bloquant pour le client. Six mois plus tard, le poste était toujours vacant, et le projet avait pris un retard considérable. Cette situation illustre parfaitement comment une fixation excessive sur le statut juridique peut nuire à l’efficacité opérationnelle d’une entreprise.

Une distinction de plus en plus artificielle

En conclusion, particulièrement dans mes domaines d’intervention – data, produit, développement – la distinction entre salariés et freelances devient largement artificielle. Dans mes missions de DSI de transition, ce qui compte vraiment, c’est la capacité des individus à contribuer efficacement au processus de transformation de l’entreprise. Quand je constitue une équipe, la vraie question n’est pas le statut juridique des collaborateurs, mais leur compétence et leur engagement dans la réussite des projets.

Cette évolution du secteur informatique pourrait préfigurer une transformation plus large du monde du travail. Dans un environnement où la flexibilité et l’expertise deviennent cruciales, le modèle traditionnel du salariat pourrait progressivement céder la place à des formes d’organisation plus fluides. L’essentiel reste la capacité de l’entreprise à orchestrer efficacement ses processus de transformation, indépendamment du statut de ceux qui y contribuent. Qui plus est, gardons en tête qu’aujourd’hui, ne pas rester plus de 2 ou 3 ans dans une même entreprise n’est pas (plus) exceptionnel, que l’on soit freelance ou salarié.

La seule véritable contrainte reste juridique, mais elle apparaît de plus en plus comme un vestige d’une époque révolue, particulièrement dans les secteurs de haute expertise comme l’informatique. L’avenir appartient peut-être aux organisations qui sauront le mieux combiner différents statuts pour maximiser leur efficacité, tout en garantissant une juste rémunération à tous leurs contributeurs. C’est en tout cas ce que je m’efforce de mettre en place dans chacune de mes missions de transition lorsque je suis conduit à constituer des équipes.

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