À l’heure où les annonces d’investissements massifs dans l’Intelligence Artificielle se multiplient, où chaque pays cherche à développer son « champion national » de l’IA, et où les initiatives de formation au numérique fleurissent à tous les niveaux de l’éducation, il est temps de prendre du recul et de s’interroger sur nos priorités éducatives.
La course effrénée au « tout numérique »
Nous assistons aujourd’hui à une véritable course à l’échalote dans le domaine de l’IA. Les États-Unis, la Chine, l’Europe : chacun annonce son plan d’investissement plus ambitieux que le précédent. Cette effervescence se traduit logiquement dans le domaine éducatif, avec une multiplication des initiatives visant à former les générations futures aux technologies numériques.
Les exemples ne manquent pas : distributions d’iPads dans certaines régions, création de parcours spécialisés en IA dès le lycée, multiplication des formations au code. Ces initiatives, bien qu’animées par de bonnes intentions, soulèvent une question fondamentale : ne sommes-nous pas en train de mettre la charrue avant les bœufs ?
Un paradoxe inquiétant
Car pendant que nous multiplions les plans d’équipement numérique et les formations aux technologies de pointe, les enquêtes nationales et internationales dressent un constat alarmant : le niveau des élèves français dans les matières fondamentales – lire, écrire, compter – ne cesse de baisser.
L’ironie de la situation n’échappera à personne : l’informatique, et a fortiori l’Intelligence Artificielle, reposent précisément sur ces compétences fondamentales. Comment peut-on espérer former des développeurs performants si ceux-ci peinent à comprendre un énoncé complexe ? Comment aborder les concepts avancés de l’IA sans une solide maîtrise des mathématiques ?
L’obsolescence programmée des compétences techniques
Il y a quelque chose de paradoxal à vouloir former des collégiens à l’IA alors que nous sommes incapables de prédire ce que sera cette technologie dans dix ans, au moment où ces mêmes élèves entreront sur le marché du travail. L’actualité récente nous montre à quel point l’évolution de l’IA est rapide et imprévisible : ce qui était à la pointe il y a six mois est déjà considéré comme obsolète aujourd’hui.
En revanche, certaines compétences sont intemporelles :
- La capacité à lire et comprendre des textes complexes
- L’aptitude à s’exprimer clairement, à l’écrit comme à l’oral
- La maîtrise du raisonnement logique et mathématique
- La faculté de structurer sa pensée et d’argumenter
Ces compétences fondamentales sont non seulement durables, mais elles constituent le socle sur lequel pourra se construire tout apprentissage futur, qu’il soit technologique ou non.
Préparer l’avenir professionnel
Dans un monde où la seule certitude est le changement, la meilleure préparation que nous puissions offrir aux générations futures n’est pas la maîtrise d’une technologie spécifique, mais la capacité à apprendre et à s’adapter en permanence.
Cette adaptabilité repose sur des fondamentaux solides :
- Une excellente compréhension de la lecture, permettant d’assimiler rapidement de nouvelles informations
- Une capacité d’expression écrite claire, essentielle pour communiquer efficacement
- Une pensée logique et structurée, base de toute résolution de problème
- Des bases mathématiques solides, socle de la pensée analytique
Vers une approche équilibrée
Il ne s’agit pas ici de rejeter l’enseignement du numérique ou de l’IA. Ces technologies font partie intégrante de notre monde et continueront de jouer un rôle crucial dans l’avenir. Mais leur enseignement doit s’appuyer sur des bases solides, et non se substituer aux apprentissages fondamentaux.
Voici quelques propositions concrètes pour une approche plus équilibrée :
Renforcer prioritairement l’enseignement des fondamentaux
- Augmenter le temps consacré à la lecture et à l’écriture
- Renforcer l’apprentissage du raisonnement logique et mathématique
- Développer la capacité d’analyse et de synthèse
Intégrer progressivement le numérique
- Utiliser les outils numériques comme support d’apprentissage des fondamentaux
- Introduire les concepts informatiques de manière progressive
- Mettre l’accent sur la compréhension des principes plutôt que sur la maîtrise d’outils spécifiques
Développer la pensée critique
- Apprendre à évaluer la pertinence et la fiabilité des informations
- Développer la capacité à argumenter et à débattre
- Encourager la créativité et l’innovation
Conclusion
L’enthousiasme actuel pour l’IA et le numérique ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel : la mission première de l’éducation est de donner aux élèves les outils intellectuels qui leur permettront d’apprendre et de s’adapter tout au long de leur vie.
Les technologies évoluent, les métiers se transforment, mais les compétences fondamentales restent le socle indispensable de toute réussite professionnelle et personnelle. Avant de former nos élèves aux dernières avancées technologiques, assurons-nous qu’ils maîtrisent ces bases essentielles qui leur permettront de s’adapter aux évolutions futures, quelles qu’elles soient.
L’enjeu n’est pas de choisir entre tradition et modernité, mais de construire une éducation qui permette aux générations futures de maîtriser leur destin dans un monde en constante évolution. Et cela commence par les fondamentaux : lire, écrire, compter… et penser.
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